Alain Nahum
Restituer le mouvement des êtres, des choses et de la lumière
Alain Nahum est photographe, peintre et dessinateur
« Mon travail artistique s’attache à ce qui touche à l’humain, aux signes qui émergent, le représentent et nous questionnent. Comme réalisateur, photographe et artiste j’entretiens une relation étroite avec les images. Ces trois pratiques s’entremêlent, réaliser des films m’a amené à dessiner ou peindre des personnages en suggérant leurs sentiments intérieurs, à questionner les relations qui les animent, pour la photographie à construire des séries, principalement autour des traces humaines, dans un aller-retour entre documentaire et fiction. »
Pourquoi êtes-vous devenu artiste et comment ?
C’est avec les images qu’enfant je me suis mis à voyager, en les collectionnant, en les découpant pour faire des collages, cette passion a duré longtemps, elle m’est venue à l’âge de 11ans après avoir découvert une exposition de Jacques Prévert. J’ai ensuite réalisé mes propres images avec un petit appareil brownie flash que m’avait offert mes parents et j’ai aiguisé au fil du temps mon acuité visuelle. Adolescent, je me suis passionné pour le dessin, la peinture surréaliste. Avec le dessin et la photographie, se sont ouverts pour moi des chemins de traverse qui m’ont aidé à me construire, à supporter l’école que je n’aimais pas beaucoup. Je profitais de mon temps libre pour aller au cinéma avec les copains. Mon engouement pour les films et le 7e art m’a conduit à exercer le métier de réalisateur, tout en continuant à pratiquer le dessin et la photographie, une passion qui ne m’a jamais quitté.
Comment définiriez-vous votre pratique ?
Le dessin, la photographie, les films sont pour moi des manières de produire des images. J’aime passer d’une pratique à l’autre, parfois même les mêler : animer des photos, intégrer du dessin dans une image et inversement. J’ai toujours en tête qu’une image est une construction mentale, où se télescopent mystérieusement le réel et l’imaginaire. L’image est un étrange écran du temps, le lieu d’une collision entre passé et présent, un moment de suspension dans lequel je tente de faire naître des bribes d’histoires et raviver des mémoires. La réalité n’est jamais séparée pour moi d’une énigme à déchiffrer, d’un récit. Je m’intéresse aux traces, aux choses éphémères enfouies dans les replis des villes, qui échappent souvent à nos regards, elles transcendent nos imaginaires. Chaque trace, chaque objet, chaque chose, si minime soit-elle, témoignent de nos passages et nous relient à notre humanité, à nos rêveries. « Celui qui passe éclaire le passage », dit joliment le poète Edmond Jabès. Je cherche à confronter l’intime à l’histoire collective. À restituer le mouvement des êtres, des choses et de la lumière. Je construis mon travail artistique à partir du visible et de la peine visible. Pour moi, une œuvre réussie réserve un espace imaginaire à celui qui la regarde. Dessiner, photographier ou filmer ouvre aux secrets des proximités, aux murmures de l’autre, à son imaginaire, à nous-mêmes.
Pourquoi est-il important de faire découvrir l’art aux enfants ?
Il y a une préhistoire culturelle pour chacun d’entre nous, elle vient de l’enfance. L’œil de l’enfant attrape tout ce qui passe sur son chemin. Voir ça l’occupe à plein temps. Pour l’enfant, le présent est le visible, seul le présent compte. Il est séquentiel, ce n’est pas juste un instant qui passe, mais une concentration du temps, une séquence qui s’ouvre et qui se ferme. Ce que l’enfant perçoit nourrit son espace mental, développe son imaginaire. Faire découvrir l’art aux enfants aiguise leur sensibilité, nourrit leur curiosité, les guide dans leur compréhension du monde, cela est formateur pour leur vie future. J’ai fait un travail avec des jeunes enfants d’une cité de Bobigny. L’enjeu était de les familiariser avec l’art et la photographie, de leur apprendre à regarder, à analyser ce qu’ils voyaient. Le but final était d’arriver à leur donner l’envie d’ouvrir un livre d’art, ce qu’ils n’avaient jamais fait, et qu’ils y trouvent du plaisir. Les enfants en regardant les images se sont mis à les interpréter, à raconter des histoires, à jouer de manière ludique avec les images. Un monde nouveau s’est ouvert pour eux et pour moi aussi.
Qu’attendez-vous de l’ailleurs, d’un horizon qui n’est pas le vôtre ?
J’attends un dépaysement, de l’imprévu, des émotions nouvelles, de découvrir d’autres villes ou villages et de m’y perdre. De rencontrer des paysages inconnus avec la lumière particulière qui les animent, d’autres manières de vivre, d’autres rituels. De créer des complicités avec les gens du pays, de découvrir leurs activités et partager la mienne. De perdre mes repères pour me décentrer, pour générer de nouvelles sources d’inspiration, pour donner de l’impulsion et du sens à mon travail créatif. Et trouver du bien-être, de la rêverie, de l’ailleurs…